00 23/06/2007 10:58


VIOLAZIONE DELLA LIBERTA' D'ESPRESSIONE: FRANCIA CONDANNATA DALLA CORTE
EUROPEA DEI DIRITTI DELL'UOMO





SENTENZA N. 0 DEL 07/06/2007

(DUPUIS C. FRANCIA) LIBERTA' DI ESPRESSIONE - PUBBLICAZIONE DI ATTI PROCESSUALI COPERTI DAL SEGRETO ISTRUTTORIO
Due giornalisti erano stati condannati in Francia per la pubblicazione nel 1996 di un libro intitolato “Les Oreilles du Président”, nel quale si raccontava di un sistema illegale di intercettazione orchestrato dagli alti vertici dell’Eliseo contro numerosi personaggi della società francese tra il 1983 e il 1986. Tale caso era stato oggetto dell’attenzione dei media allorquando negli anni ’90 venne pubblicata sulla stampa una lista di 2000 persone che erano state sottoposte a illecita sorveglianza. Nel 1993 venne poi aperto nei confronti di G.M., un collaboratore del Presidente Mitterrand, un procedimento penale. Con l’uscita del suddetto libro, costui denunciò in sede penale i suoi autori, accusandoli di aver utilizzato – addirittura allegandolo in appendice - materiale sottratto illegalmente dagli atti giudiziari (dichiarazioni rese al giudice istruttore e brogliacci di intercettazioni). Il Tribunale di Parigi decretò che il materiale utilizzato era in effetti documentazione agli atti del processo penale coperto dal segreto istruttorio e condannò i due giornalisti ad una pena pecuniaria.

Investita del caso, la Corte europea ha ritenuto sproporzionata la condanna. In particolare, la Corte ha ritenuto preminente l’interesse pubblico a conosce di quello che era stato un affare di stato, acquisendo certe informazioni – anche riguardanti il processo penale - sulle illegali intercettazioni subite da noti personaggi. La Corte, pur ritenendo legittima la protezione della segretezza delle indagini, ha rilevato che al momento dell’uscita del libro, era già noto che G.M. era stato inquisito e il governo francese non aveva dimostrato come la discovery delle informazioni riservate avesse arrecato a costui una lesione al suo diritto alla presunzione di innocenza , posto che la condanna era seguita 10 anni dopo.

www.cortedicassazione.it/Notizie/GiurisprudenzaComunitaria/CorteEuropea/Scheda.as...




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IL SOLE 24 ORE
21/06/2007
LIBERTÀ DI STAMPA PIÙ FORTE DELL'ISTRUTTORIA
MARINA CASTELLANETA

www.corteconti.it/Rassegna-S/giugno2007/21062007/007.tif




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www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3236,36-920397@51-92040...

La France condamnée pour violation de la liberté d'expression de deux
journalistes
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 07.06.07 | 21h29

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France à l'unanimité,
jeudi 7 juin, pour violation de la liberté d'expression des journalistes Jérôme
Dupuis et Jean-Marie Pontaut, coauteurs en 1996 d'un livre sur les écoutes de
l'Elysée, pour lequel ils ont été condamnés pour recel de violation du secret
professionnel.


Cette condamnation a été jugée injuste par les juges européens, pour qui le
livre Les Oreilles du président répondait "à une demande concrète et soutenue
du public de plus en plus intéressé de nos jours à connaître les rouages de la
justice au quotidien". Dans son arrêt, la cour de Strasbourg rappelle que "la
liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société
démocratique". "Il convient d'apprécier avec la plus grande prudence, dans une
société démocratique, la nécessité de punir pour recel de violation du secret
de l'instruction ou du secret professionnel des journalistes qui participent à
un débat public d'une telle importance, exerçant ainsi leur mission de 'chiens
de garde' de la démocratie." Les juges rappellent que l'affaire des écoutes
avait déjà fait l'objet d'une "très large médiatisation" lors de la publication
du livre.

UN LIVRE PARU À LA MORT DE FRANÇOIS MITTERRAND

En janvier 1996, quelques jours après le décès du président Mitterrand, les
éditions Arthème Fayard publièrent un ouvrage dans lequel, s'appuyant sur un
certain nombre de documents, les deux journalistes décrivaient le
fonctionnement de la "cellule anti-terroriste" de l'Elysée qui, de 1983 à 1986,
avait placé sur écoutes environ 2 000 personnes, dont de nombreuses
personnalités, actrices, journalistes et avocats.

Gilles Ménage, directeur adjoint du cabinet de François Mitterrand, mis en
examen et ultérieurement condamné à une amende de 5 000 euros et à une peine
d'emprisonnement avec sursis dans cette affaire, déposa plainte pour recel de
documents provenant d'une violation du secret professionnel, recel de violation
du secret professionnel et recel de vol. Les deux auteurs, également
journalistes à L'Express, contestèrent avoir obtenu leurs informations de
manière illégale, mais ils refusèrent, comme c'est le droit des journalistes,
de révéler leurs sources. Ils furent condamnés en septembre 1998 par le
tribunal de grande instance de Paris à une amende de 5 000 francs (762,25
euros) pour recel ainsi qu'à 50 000 francs (7 622,50 euros) de dommages et
intérêts à verser à Gilles Ménage.

La Cour européenne a estimé que cette condamnation pouvait avoir un effet
dissuasif sur l'exercice de la liberté d'expression et a rejeté l'argument des
autorités françaises selon lequel la divulgation d'informations confidentielles
pouvait nuire à la présomption d'innocence du directeur-adjoint de cabinet.




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COMUNICATO:


COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

7.6.2007

Communiqué du Greffier (texte intégral)

ARRÊT DE CHAMBRE "DUPUIS ET AUTRES c. FRANCE"

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit
son arrêt de chambre1 dans l’affaire Dupuis et autres c. France (requête no
1914/02).

La Cour conclut, à l’unanimité à la violation de l’article 10 (liberté d’
expression) de la Convention européenne des Droits de l’Homme. (L’arrêt n’
existe qu’en français.)

1. Principaux faits

Les requérants, Jérôme Dupuis et Jean-Marie Pontaut, sont deux journalistes
français nés en 1964 et 1947 respectivement et résidant à Paris, ainsi que la
société d’édition Librairie Arthème Fayard.

La requête porte sur la condamnation pénale des requérants pour avoir publié
en 1996 un ouvrage intitulé « Les oreilles du Président » portant sur ce que l’
on a appelé en France « les écoutes de l’Elysée ». Ce système illégal d’écoutes
téléphoniques et d’archivages, organisé au sommet de l’Etat français et visant
de nombreuses personnalités de la société civile, perdura de 1983 à 1986.

En 1982, une « Mission de coordination, d’information et d’action contre le
terrorisme » fut créée. Cette « cellule anti-terroriste » de l’Elysée fut mise
en place de 1983 à mars 1986 à la présidence de la République française et se
livra à des écoutes téléphoniques ainsi qu’à des enregistrements. Au début des
années 1990, la presse publia la liste des 2 000 personnes écoutées au nombre
desquelles figuraient notamment de nombreuses personnalités ainsi que des
journalistes et avocats ; l’affaire fut alors fortement médiatisée.

En 1993, une information judiciaire fut ouverte dans le cadre de laquelle G.
M., directeur adjoint du cabinet du président François Mitterrand à l’époque
des écoutes, fut mis en examen du chef d’atteinte à la vie privée d’autrui.

Quelques jours après le décès du président Mitterrand en janvier 1996, les
éditions Arthème Fayard publièrent l’ouvrage « Les oreilles du Président »
rédigé par les requérants, qui décrivait le fonctionnement des écoutes au sein
de l’Elysée.

G.M. déposa plainte avec constitution de partie civile contre MM. Pontaut et
Dupuis des chefs de recel de documents provenant d’une violation du secret
professionnel, recel de violation du secret professionnel et recel de vol.
Selon lui, 36 passages de l’ouvrage des requérants reproduisaient des procès-
verbaux relatifs aux déclarations faites devant le juge d’instruction, et
quatre annexes du livre était constituées de « fac-similés d’écoutes »
identiques aux documents figurant en procédure.

Les requérants contestèrent avoir obtenu leurs informations de manière
illégale ; ils refusèrent de révéler leurs sources et firent notamment valoir
que nombre de personnes entendues par le juge avaient ensuite révélé
publiquement la teneur de leurs déclarations. Le 10 septembre 1998, le tribunal
de grande instance de Paris jugea que tant les fac-similés que les extraits de
procès-verbaux provenaient du dossier d’instruction auquel ne pouvait avoir
accès que des personnes tenues au secret de l’instruction ou au secret
professionnel. Le tribunal estima que les requérants, journalistes
expérimentés, ne pouvaient ignorer que ces documents étaient couverts par le
secret de l’instruction ou le secret professionnel. En conséquence, il déclara
MM. Pontaut et Dupuis coupables du délit de recel de violation du secret de l’
instruction ou du secret professionnel et les condamna chacun à une amende de l’
équivalent de 762,25 EUR. En outre, le tribunal les condamna solidairement à
payer à G.M. l’équivalent de 7 622,50 EUR de dommages-intérêts et déclara la
Librairie Arthème Fayard civilement responsable. L’ouvrage des requérants
continua à être publié et aucun exemplaire ne fut saisi.

La cour d’appel de Paris confirma cette condamnation le 16 juin 1999. Par
ailleurs, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants le 19 juin
2001.

En novembre 2005, G.M. fut condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis et
à une amende de 5 000 EUR.

2. Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des Droits de l’Homme le
17 décembre 2001. L’arrêt a été rendu par une chambre de 7 juges composée de :
Boštjan M. Zupancic (Slovène), président, Corneliu Bîrsan (Roumain), Jean-Paul
Costa (Français), Elisabet Fura-Sandström (Suédoise), Alvina Gyulumyan
(Arménienne), David Thór Björgvinsson (Islandais), Isabelle Berro-Lefèvre
(Monégasque), juges, ainsi que de Stanley Naismith, greffier adjoint de
section.

3. Résumé de l’arrêt (2)

Griefs

Invoquant les articles 10 (liberté d’expression) et 6 § 2 (présomption d’
innocence), les requérants dénonçaient leur condamnation.

Décision de la Cour

Article 10

La Cour relève que la condamnation des requérants constitue une ingérence dans
leur droit à la liberté d’expression, que cette ingérence était prévue par le
code pénal français et qu’elle avait pour but légitime de protéger le droit de
G.M. à un procès équitable dans le respect de la présomption d’innocence.

Sur le point de savoir si cette ingérence était nécessaire dans une société
démocratique, la Cour observe d’emblée que le thème de l’ouvrage concernait un
débat qui était d’un intérêt public considérable. Il apportait une contribution
à ce qu’il convient d’appeler une affaire d’Etat qui intéressait l’opinion
publique, et donnait certaines informations et réflexions s’agissant des
personnalités qui avaient fait l’objet d’écoutes téléphoniques illégales, des
conditions dans lesquelles ces dernières avaient été réalisées, et de qui
étaient les donneurs d’ordre. Force est d’ailleurs de constater que la liste
des « 2 000 personnes écoutées » comprenait des noms de nombreuses
personnalités pour le moins médiatiques ou médiatisées.

La Cour rappelle à cet égard que la Convention ne laisse guère de place pour
des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours
politique ou des questions d’intérêt général et que les limites de la critique
admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette
qualité, que d’un simple particulier. Or, s’il n’était pas lui-même un homme
politique, G.M., alors un des principaux collaborateurs du président
Mitterrand, présentait toutes les caractéristiques d’un homme public influent,
évidemment impliqué dans la vie politique et ce, au plus haut niveau de l’
exécutif. D’autre part, considérant que le livre des requérants, à l’instar des
chroniques judiciaires, répond à une demande concrète et soutenue du public de
plus en plus intéressé de nos jours à connaître les rouages de la justice au
quotidien, la Cour estime que le public avait un intérêt légitime à être
informé et à s’informer sur ce procès et, notamment, sur les faits relatés par
l’ouvrage. La Cour tient d’ailleurs à insister sur l’importance du rôle des
médias dans le domaine de la justice pénale.

La Cour doit donc déterminer si l’intérêt d’informer le public l’emportait en
l’espèce sur les « devoirs et responsabilités » pesant sur les requérants en
raison de l’origine douteuse des documents qui leur avaient été adressés. A cet
égard, la Cour estime légitime de vouloir accorder une protection particulière
au secret de l’instruction compte tenu de l’enjeu d’une procédure pénale, tant
pour l’administration de la justice que pour le droit au respect de la
présomption d’innocence des personnes mises en examen. Toutefois, dans la
présente affaire, au moment de la publication de l’ouvrage des requérants,
outre la très large médiatisation de l’affaire dite des « écoutes de l’Elysée
», il était déjà de notoriété publique que G.M. était mis en examen dans cette
affaire, dans le cadre d’une instruction ouverte depuis près de trois ans, qui
aboutira à sa condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis près de dix
ans après la publication de l’ouvrage. En outre, le Gouvernement n’établit pas
en quoi, dans les circonstances de l’espèce, la divulgation d’informations
confidentielles aurait pu avoir une influence négative tant sur le droit à la
présomption d’innocence de G.M. que sur son jugement et sa condamnation presque
de dix ans après la publication. D’ailleurs, postérieurement à la parution du
livre litigieux et durant la phase d’instruction, G.M. s’est régulièrement
exprimé sur l’affaire au travers de nombreux articles de presse.

Dans ces conditions, la Cour estime que la protection des informations en tant
qu’elles étaient confidentielles ne constituait pas un impératif prépondérant.
La Cour se demande d’ailleurs si subsistait encore l’intérêt de garder secrètes
des informations dont le contenu avait déjà, au moins en partie, été rendu
public et était susceptible d’être connu par un grand nombre de personnes, eu
égard à la couverture médiatique de l’affaire, tant en raison des faits que de
la personnalité de nombreuses victimes des écoutes. La Cour estime au demeurant
qu’il convient d’apprécier avec la plus grande prudence la nécessité de punir
pour recel de violation de secret de l’instruction ou de secret professionnel
des journalistes qui participent à un débat public d’une telle importance,
exerçant ainsi leur mission de « chiens de garde » de la démocratie. Il ressort
des allégations non contestées des requérants que ceux-ci ont agi dans le
respect des règles de la profession journalistique, dans la mesure où les
publications litigieuses servaient ainsi non seulement l’objet mais aussi la
crédibilité des informations communiquées, attestant de leur exactitude et de
leur authenticité.

Enfin, la Cour rappelle qu’une atteinte à la liberté d’expression peut risquer
d’avoir un effet dissuasif quant à l’exercice de cette liberté, que le
caractère relativement modéré des amendes, comme c’est le cas en l’espèce, ne
saurait suffire à faire disparaître. En conclusion, la Cour estime que la
condamnation des requérants s’analyse en une ingérence disproportionnée dans
leur droit à la liberté d’expression et qu’elle n’était donc pas nécessaire
dans une société démocratique. Elle conclut donc à la violation de l’article
10.




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SENTENZA:

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COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME (CEDH)

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DUPUIS ET AUTRES c. FRANCE
(Requête no 1914/02)

ARRÊT
STRASBOURG
7 juin 2007


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2
de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Dupuis et autres c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une
chambre composée de :
MM. B.M. ZUPANCIC, président,
C. BIRSAN,
J.-P. COSTA,
Mmes E. FURA-SANDSTRÖM,
A. GYULUMYAN,
M. DAVID THOR BJÖRGVINSSON,
Mme I. BERRO-LEFEVRE, juges,
et de M. S. NAISMITH, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 mai 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 1914/02) dirigée contre
la République française et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Jérôme
Dupuis et Jean-Marie Pontaut, ainsi que la société de droit français Librairie
Arthème Fayard (« les requérants »), ont saisi la Cour le 17 décembre 2001 en
vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et
des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me C. Waquet, avocate au Conseil
d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement
») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires
juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le 26 août 2005, la requête a été communiquée au Gouvernement. Compte tenu
des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, il a également été
décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de
l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Par un décret du 17 mars 1982, une « Mission de coordination,
d'information et d'action contre le terrorisme » fut créée. Cette « cellule
anti-terroriste » de l'Elysée fut mise en place de 1983 à mars 1986 à la
présidence de la République française et se livra à des écoutes téléphoniques
ainsi qu'à des enregistrements.
5. En novembre 1992, un hebdomadaire publia une note manuscrite datée du 28
mars 1983 et portant l'en-tête de la présidence de la République dont certains
signes révélaient que des écoutes téléphoniques avaient été notamment
organisées sur les lignes de certains journalistes et avocats.
La même année, des journaux publièrent la liste des personnes qui avaient été
écoutées.
6. L'affaire fut fortement médiatisée et une information fut ouverte en
février 1993.
Dans le cadre de cette procédure, G.M., directeur adjoint du cabinet du
président de la République à l'époque des écoutes, fut mis en examen du chef
d'atteinte à la vie privée d'autrui.
7. Le 25 janvier 1996, quelques jours après le décès du président Mitterrand,
les éditions Arthème Fayard publièrent l'ouvrage rédigé par les requérants,
tous deux journalistes, intitulé Les oreilles du Président, qui décrivait le
fonctionnement des écoutes au sein de l'Elysée.
8. Le 1er février 1996, G.M. déposa plainte avec constitution de partie
civile à l'encontre de MM. Pontaut et Dupuis des chefs de recel de documents
provenant d'une violation du secret professionnel, recel de violation du secret
professionnel et recel de vol. Dans le cadre de sa plainte, G.M. releva que
l'annexe 1 du livre était constituée par six « fac-similés d'écoutes »
identiques aux documents figurant en procédure et que les trois autres annexes
(liste de personnes écoutées) puisaient également leur substance dans celle-ci.
Il cita également trente-six passages de l'ouvrage qui reproduisaient les
déclarations faites devant le magistrat instructeur par les personnes mises en
examen ou les témoins et consignées par procès verbal.
9. Dans le cadre de la procédure d'instruction, les requérants contestèrent
avoir obtenu leurs informations de manière illégale. Ils refusèrent de révéler
leurs sources et firent valoir que nombre des personnes entendues par le juge
avaient ensuite révélé publiquement la teneur de leurs déclarations. S'agissant
des fac-similés d'écoutes et du contenu des procès verbaux, les requérants
soutinrent que ceux-ci avaient circulé auprès des journalistes bien avant
l'ouverture de l'instruction.
10. Par un jugement du 10 septembre 1998, le tribunal de grande instance de
Paris jugea que tant les fac-similés que les extraits de procès verbaux
trouvaient leur origine dans le dossier d'instruction auquel ne pouvait avoir
accès que des personnes tenues au secret de l'instruction ou au secret
professionnel. Le tribunal jugea que, quel que soit le cheminement des pièces
litigieuses, celles-ci ne pouvaient être parvenues dans les mains des
requérants qu'à l'aide d'une infraction. Selon le tribunal, cette situation ne
pouvait être ignorée par des journalistes expérimentés. Constatant que le délit
de recel était caractérisé en tous ses éléments, le tribunal déclara MM.
Pontaut et Dupuis coupables du délit de recel de violation du secret de
l'instruction ou du secret professionnel sur le fondement des articles 226-13,
226-31, 321-1 et 321-9 à 321-12 du code pénal et les condamna chacun à une
peine de 5 000 francs français (FRF) d'amende (soit 762,25 euros (EUR)). En
outre, ledit tribunal les condamna solidairement à payer 50 000 FRF (soit 7
622,50 EUR) de dommages-intérêts et déclara la Librairie Arthème Fayard
civilement responsable. L'ouvrage des requérants continua à être publié et
aucun exemplaire ne fut saisi.
11. Les requérants interjetèrent appel. Invoquant notamment la violation des
articles 6 § 2 et 10 de la Convention, ils contestèrent la nécessité de leur
condamnation au regard de la Convention.
12. Par un arrêt du 16 juin 1999, la cour d'appel de Paris confirma la
condamnation notamment par les motifs suivants :
« (...) Par leur nombre, leur diversité et leur précision les sources
utilisées par les prévenus démontrent qu'ils ont été en possession matérielle
de reproductions des pièces d'instruction, de simples transcriptions ou de
comptes rendus oraux étant insusceptibles de permettre le caractère
systématique de l'exploitation qu'ils ont faite du contenu du dossier (...) Dès
lors les prévenus n'ont pu obtenir les documents que par la voie de personnes
associées à la procédure lesquelles se divisent en deux groupes. Le premier est
lié par le secret de l'instruction (magistrat, greffier, policier ...) dont la
violation constitue un délit. Le second est constitué par les personnes qui
peuvent obtenir des copies de pièces mais qui ne sont pas tenues par le secret
de l'instruction. Il s'agit des avocats et des parties elles-mêmes. (...) Il
résulte de ces dispositions claires et cohérentes que le respect de certaines
modalités du secret de l'instruction est une composante du respect du secret
professionnel. Sans aucun doute ce dernier ne doit pas faire préjudice aux
droits de la défense. (...) Ainsi la provenance des documents utilisés par les
prévenus était nécessairement délictuelle, la qualification exacte du délit
étant sans effet sur la nature illicite de l'origine qui est le fondement
nécessaire et suffisant de l'élément légal du recel, ce que confirme la
jurisprudence de la Cour de cassation. (...) »
13. S'agissant de l'article 10 de la Convention, la cour d'appel jugea que :
« Même si le contenu matériel du recel présente le caractère particulier
d'être constitué par des actes d'instruction il convient tout d'abord de faire
observer que le délit de recel prévu à l'article 321-1 du code de procédure
pénale est une incrimination d'usage courant. (...) Ainsi même si les
poursuites ayant la configuration actuelle peuvent être peu nombreuses elles
sont fondées sur des textes clairs et connus et il n'y a pas d'aléa dans leurs
conditions d'application.
Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 10 précité l'exercice de la liberté
d'expression peut être soumis à des restrictions notamment pour protéger la
réputation et les droits d'autrui et pour garantir 'l'autorité et
l'impartialité du pouvoir judiciaire'.
Il est constant qu'en se procurant une quantité de pièces couvertes par le
secret dans une procédure où [G.M.] était mis en examen les prévenus portaient
atteinte à sa vie personnelle et à ses droits de la défense comme personne mise
en examen. Cette démarche établissait en même temps la méconnaissance
volontaire des règles de fonctionnement de l'institution judiciaire. De
surcroît la publication qui était l'objectif reconnu par MM. Pontaut et Dupuis,
ne pouvait que mettre en cause la présomption d'innocence dont doit bénéficier
toute personne poursuivie.
(...) Obliger au respect des règles fondamentales du fonctionnement des
juridictions et des pratiques des auxiliaires de justice concourt au maintien
des caractères démocratiques de la société. A ce titre, les règles sur le
respect du secret de l'instruction comme celui du secret professionnel
permettent de protéger cette instance de trop fortes pressions comme elles
protègent également des intérêts essentiels des protagonistes de la procédure.
Dès lors, les limites auxquelles est soumise la liberté d'expression sont
nécessaires d'autant d'une part qu'il n'est pas établi que les contraintes
exercées en la cause aient nui de réelle façon à l'information de l'opinion
compte tenu des articles parus sur le sujet. Et d'autre part qu'il n'est pas
plus établi que la justice se soit trouvée dans une impossibilité de
fonctionner dont il aurait fallu informer cette opinion. »
14. Les requérants se pourvurent en cassation.
15. Par un arrêt du 19 juin 2001, la chambre criminelle de la Cour de
cassation rejeta le pourvoi.
16. La Cour de cassation rejeta le moyen par lequel les requérants
alléguaient notamment la violation de l'article 6 § 2 de la Convention comme
suit :
« Attendu que, pour retenir la culpabilité des prévenus qui contestaient avoir
obtenu les informations de façon illégale, mais refusaient de révéler leurs
sources, la cour d'appel relève que l'ouvrage comporte des fac-similés
d'écoutes téléphoniques qui sont la reproduction exacte de fiches consignées
dans la procédure suivie par le juge d'instruction, ainsi que des extraits de
procès-verbaux de déclarations dressés par ce magistrat ; que les juges
ajoutent qu'en l'absence de tout élément permettant d'accréditer l'hypothèse
d'une divulgation accidentelle, son auteur ne peut être qu'un professionnel,
tenu au secret, qu'il s'agisse d'une personne soumise au secret de
l'instruction, ou d'un avocat tenu au secret professionnel en vertu de
l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;
qu'ils en déduisent que, quel que soit le cheminement des pièces litigieuses,
celles-ci n'ont pu parvenir entre les mains des prévenus qu'à l'aide d'une
infraction ; qu'ils relèvent que cette situation ne pouvait être ignorée de
journalistes expérimentés ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, déduits d'une appréciation souveraine des
circonstances de la cause, la cour d'appel, qui a caractérisé la détention et
la publication, en connaissance de cause, par les prévenus, de photocopies de
pièces issues d'une instruction en cours, a justifié sa décision ; (...) »
17. La Cour rejeta également le moyen par lequel les requérants invoquaient
la violation de l'article 10 de la Convention, faisant valoir que le seul fait
que les écoutes téléphoniques décrites dans le livre faisaient l'objet d'une
information judiciaire n'était pas suffisant pour justifier l'atteinte portée à
leur liberté d'expression et que leur condamnation ne répondait à aucune
nécessité pour les motifs suivants :
« Attendu que, pour rejeter le grief pris d'une violation de l'article 10 de
la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel, par motifs
propres et adoptés, relève que la matière essentielle de l'ouvrage litigieux
est constituée par le contenu même du dossier de l'information en cours, que le
livre reproduit en particulier de nombreux passages d'auditions de personnes
entendues par le juge d'instruction, et que ces éléments ont nourri de façon
détaillée l'exposé des auteurs sur le fonctionnement du système d'écoutes mis
en place à la Présidence de la République ; que les juges précisent que les
prévenus se sont trouvés en possession d'informations confidentielles sur [G.
M.] auxquelles ils n'avaient aucun droit d'accès, ce qui heurtait un intérêt
légitime de celui-ci ; qu'ils ajoutent que les limites auxquelles est soumise
la liberté d'expression sont nécessaires d'autant qu'il n'est pas établi que
les contraintes exercées en la cause aient nui de réelle façon à l'information
de l'opinion et que la justice se soit trouvée dans une impossibilité de
fonctionner dont il aurait fallu informer cette opinion ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations dont il résulte que les prévenus ont
été poursuivis pour avoir divulgué le contenu demeuré confidentiel de pièces
issues d'une information en cours, mesure justifiée par les impératifs de
protection des droits d'autrui, au nombre desquels figure la présomption
d'innocence, par la préservation d'informations confidentielles, ainsi que par
la garantie de l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire, la cour
d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 10 de la Convention
européenne des droits de l'homme ;
(...)
Attendu qu'en allouant des dommages-intérêts à la partie civile, au motif que
la publication, par les prévenus, d'informations confidentielles la concernant,
a directement concouru au dommage qu'elle a subi, la cour d'appel a justifié sa
décision au regard de l'article 2 du code de procédure pénale. »
18. Par un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 9 novembre 2005, G.
M fut condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 EUR d'amende.
II. DROIT INTERNE PERTINENT
19. Les dispositions pertinentes du code pénal sont les suivantes :
Article 226-13
« La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en
est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction
ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000
euros d'amende. »
Article 321-1
« Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose
ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette
chose provient d'un crime ou d'un délit.
Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier,
par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit. Le recel est puni de cinq
ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. »

20. La Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe aux Etats membres, sur la diffusion d'informations par les médias en
relation avec les procédures pénales, se lit ainsi :
« (...)
Rappelant que les médias ont le droit d'informer le public eu égard au droit
de ce dernier à recevoir des informations, y compris des informations sur des
questions d'intérêt public, en application de l'article 10 de la Convention, et
qu'ils ont le devoir professionnel de le faire ;
Rappelant que les droits à la présomption d'innocence, à un procès équitable
et au respect de la vie privée et familiale, garantis par les articles 6 et 8
de la Convention, constituent des exigences fondamentales qui doivent être
respectées dans toute société démocratique ;
Soulignant l'importance des reportages réalisés par les médias sur les
procédures pénales pour informer le public, rendre visible la fonction
dissuasive du droit pénal et permettre au public d'exercer un droit de regard
sur le fonctionnement du système judiciaire pénal ;
Considérant les intérêts éventuellement conflictuels protégés par les articles
6, 8 et 10 de la Convention et la nécessité d'assurer un équilibre entre ces
droits au regard des circonstances de chaque cas individuel, en tenant dûment
compte du rôle de contrôle de la Cour européenne des Droits de l'Homme pour
garantir le respect des engagements contractés au titre de la Convention ;
(...)
Désireux de promouvoir un débat éclairé sur la protection des droits et
intérêts en jeu dans le cadre des reportages effectués par les médias sur les
procédures pénales, ainsi que de favoriser de bonnes pratiques à travers
l'Europe, tout en assurant l'accès des médias aux procédures pénales ;
(...)
Recommande, tout en reconnaissant la diversité des systèmes juridiques
nationaux en ce qui concerne les procédures pénales, aux gouvernements des
Etats membres :
1. de prendre ou de renforcer, le cas échéant, toutes mesures qu'ils
considèrent nécessaires en vue de la mise en œuvre des principes annexés à la
présente recommandation, dans les limites de leurs dispositions
constitutionnelles respectives,
2. de diffuser largement cette recommandation et les principes qui y sont
annexés, en les accompagnant le cas échéant d'une traduction, et
3. de les porter notamment à l'attention des autorités judiciaires et des
services de police, et de les mettre à la disposition des organisations
représentatives des juristes praticiens et des professionnels des médias.
Annexe à la Recommandation Rec(2003)13 - Principes concernant la diffusion
d'informations par les médias en relation avec les procédures pénales
Principe 1 - Information du public par les médias
Le public doit pouvoir recevoir des informations sur les activités des
autorités judiciaires et des services de police à travers les médias. Les
journalistes doivent en conséquence pouvoir librement rendre compte de et
effectuer des commentaires sur le fonctionnement du système judiciaire pénal,
sous réserve des seules limitations prévues en application des principes qui
suivent.
Principe 2 - Présomption d'innocence
Le respect du principe de la présomption d'innocence fait partie intégrante du
droit à un procès équitable.
En conséquence, des opinions et des informations concernant les procédures
pénales en cours ne devraient être communiquées ou diffusées à travers les
médias que si cela ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence du
suspect ou de l'accusé.
(...)
Principe 6 - Information régulière pendant les procédures pénales
Dans le cadre des procédures pénales d'intérêt public ou d'autres procédures
pénales attirant particulièrement l'attention du public, les autorités
judiciaires et les services de police devraient informer les médias de leurs
actes essentiels, sous réserve que cela ne porte pas atteinte au secret de
l'instruction et aux enquêtes de police et que cela ne retarde pas ou ne gêne
pas les résultats des procédures. Dans le cas des procédures pénales qui se
poursuivent pendant une longue période, l'information devrait être fournie
régulièrement.
(...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
21. Les requérants se plaignent de ce que leur condamnation ne reflète pas un
besoin social impérieux et viole par conséquent leur droit à la liberté
d'expression. Ils en veulent pour preuve que ce n'est pas le ministère public
qui se trouve à l'origine de la plainte. Les requérants font en outre valoir
que le livre litigieux ne remettait nullement en cause la présomption
d'innocence de G.M., dont nul n'ignorait qu'il avait été mis en examen. Ils
invoquent à cet égard leur droit de diffuser des informations dans le cadre
d'une affaire d'Etat et font valoir que le débat public portait sur l'exercice
du pouvoir, ses dérives et son contrôle, et existait déjà avant la publication
du livre, lequel n'avait pas pour but de freiner l'enquête. Les requérants
invoquent l'article 10 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie
pertinente :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la
liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations
ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans
considération de frontière. (...)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités
peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions
prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique (...) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui,
(...) ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
22. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
23. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens
de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci
ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le
déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Les requérants
24. Les requérants font notamment valoir que l'ingérence n'était nullement
nécessaire. Selon eux, comme tout secret, le secret de l'instruction ne vise
que les participants à l'instruction, mais nullement les parties. La révélation
n'est pas interdite et aucun fait n'a de vocation particulière à n'être connu
de personne.
25. Par ailleurs, ils estiment ne pas avoir porté atteinte à la protection
des droits d'autrui. Même si l'affaire n'était pas encore jugée lorsque
l'ouvrage est paru, l'information était ouverte depuis trois ans et il fallut
encore attendre dix ans pour que l'affaire soit jugée par le tribunal
correctionnel de Paris. Dans un tel contexte, la parution d'un livre pour
exprimer une nouvelle fois ce qui constituait une affaire d'Etat, alors que la
justice était particulièrement lente, ne portait atteinte à aucun principe
fondamental et surtout pas au secret de l'instruction. Lorsque l'instruction
connaît une si longue durée et que les témoignages, preuves et éléments ont eu
le temps de disparaître, il est au contraire salutaire et conforme à l'intérêt
de la démocratie que des journalistes d'investigation dévoilent ce que leur
enquête a permis de découvrir. En l'espèce, il ne s'agissait plus de protéger
des preuves, mais au contraire d'éviter qu'elles ne disparaissent en révélant
sur la place publique ce que la justice avait des difficultés à mettre à jour.
26. A cet égard, l'intérêt de G.M. devait s'effacer devant l'intérêt général
et il ne saurait être soutenu qu'il aurait été porté atteinte à son droit à la
présomption d'innocence de manière telle que les juges correctionnels
n'auraient pu bénéficier, dix ans plus tard, de leur entière liberté
d'appréciation s'agissant de sa culpabilité.
b) Le Gouvernement
27. Le Gouvernement ne conteste pas que la condamnation des requérants pour
délit de recel du secret de l'instruction ou du secret professionnel constitue
une ingérence dans leur droit à la liberté d'expression. Selon lui, l'ingérence
était prévue par la loi, à savoir par les articles 226-13 et 321-1 du code
pénal, qui remplissent les conditions d'accessibilité et de prévisibilité
exigées par la Cour (Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, CEDH 1999-
I). Il estime cependant que l'ingérence constituait une mesure nécessaire dans
une société démocratique à la protection de la réputation des droits d'autrui
et pour garantir l'autorité et l'impartialité de l'autorité judiciaire. Sans
contester le fait que l'ouvrage des requérants avait pour objet d'informer le
public sur une affaire d'Etat qui intéressait l'opinion publique, il considère
qu'il a porté atteinte à la présomption d'innocence de G.M. La publication
quelques jours après la mort de François Mitterrand lui a donné un certain
impact commercial et médiatique, renforçant le préjudice subi par G.M.
L'affaire était par ailleurs très sensible et l'ouvrage reproduisait très
exactement plusieurs pièces versées au dossier.
28. Selon le Gouvernement l'ingérence était par ailleurs proportionnée au but
poursuivi. L'interdiction de produire des documents émanant d'un dossier
d'instruction est limitée à la période de l'instruction proprement dite, ne
couvre que les actes de recel et de divulgation des pièces mêmes du dossier et
n'interdit donc aucunement aux journalistes de communiquer des informations sur
une affaire en cours d'instruction ou de se livrer à leurs propres
investigations, interroger des parties à la procédure, les témoins, les avocats
ou encore commenter de manière critique l'activité judiciaire.
29. Le Gouvernement considère enfin que le cas d'espèce doit être distingué
de l'affaire Fressoz et Roire précitée. Le secret de l'instruction et le
respect de la présomption d'innocence qui protègent des intérêts collectifs et
publics ne sauraient être mis sur le même pied que le secret fiscal, qui
protège des intérêts purement privés. Par ailleurs, les juridictions françaises
ont suffisamment motivé leurs décisions après un examen précis. Le droit à
l'information du public sur l'affaire des écoutes de l'Elysée n'a pas été
entravé, la publication de l'ouvrage s'est poursuivie et ses exemplaires n'ont
pas été saisis alors que l'information du public était largement assurée, par
ailleurs, par les médias. En outre, les requérants ont été condamnés à une «
peine de principe », fort éloignée du maximum encouru.
2. Appréciation de la Cour
30. La Cour relève que les requérants ont été condamnés au paiement d'une
amende et de dommages-intérêts, en raison de l'utilisation et de la
reproduction d'éléments du dossier d'instruction dans leur livre. Il n'est pas
contesté que les requérants ont subi une « ingérence » dans l'exercice de leur
droit à la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention.
Pareille immixtion enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences
du paragraphe 2 de l'article 10. Il y a donc lieu de déterminer si elle était «
prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard dudit
paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique ».
a) « Prévue par la loi »
31. La Cour relève que les infractions pour lesquelles les requérants ont été
poursuivis trouvaient, à l'instar des sanctions prononcées, leur fondement dans
le code pénal. Par ailleurs, les requérants ne mettent pas en cause le
caractère prévisible et accessible des dispositions légales applicables.
L'ingérence était donc prévue par la loi.
b) But légitime
32. La Cour relève que les juridictions internes ont fondé leurs décisions
sur la violation du secret professionnel ou de l'instruction. L'ingérence avait
donc notamment pour but de garantir le respect du droit d'une personne qui,
n'ayant pas encore été jugée, était présumée innocente. Elle avait aussi pour
but une bonne administration de la justice en évitant toute influence
extérieure sur le cours de celle-ci. Ces buts correspondent à la protection de
« la réputation et des droits d'autrui » et à la garantie de « l'autorité et
l'impartialité du pouvoir judiciaire », dans la mesure où cette dernière
garantie a été interprétée comme englobant les droits dont les individus
jouissent à titre de plaideurs en général (Ernst et autres c. Belgique, no
33400/96, § 98, 15 juillet 2003).
Partant, la Cour considère que les motifs invoqués par les juridictions
internes se concilient avec le but légitime de protéger le droit de G.M. à un
procès équitable dans le respect de la présomption d'innocence.
c) « Nécessaire dans une société démocratique »
i. Rappel des principes généraux
33. La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une
société démocratique et les garanties à accorder à la presse revêtent donc une
importance particulière (voir, entre autres, les arrêts Jersild c. Danemark du
23 septembre 1994, série A no 298, p. 26, § 37 ; Worm c. Autriche du 29 août
1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-V, pp. 1550-1551, § 47 ; Fressoz et
Roire, précitée, § 45)
34. La presse joue un rôle éminent dans une société démocratique : si elle ne
doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la
réputation et aux droits d'autrui ainsi qu'à la nécessité d'empêcher la
divulgation d'informations confidentielles, il lui incombe néanmoins de
communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des
informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général (De Haes
et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-234,
§ 37 ; Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 62, CEDH 1999
III ; Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 43-45, CEDH 2001 III ; Tourancheau et
July c. France, no 53886/00, § 65, 24 novembre 2005).
35. En particulier, on ne saurait penser que les questions dont connaissent
les tribunaux ne puissent, auparavant ou en même temps, donner lieu à
discussion ailleurs, que ce soit dans des revues spécialisées, la grande presse
ou le public en général. A la fonction des médias consistant à communiquer de
telles informations et idées s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir.
Toutefois, il convient de tenir compte du droit de chacun de bénéficier d'un
procès équitable tel que garanti à l'article 6 § 1 de la Convention, ce qui, en
matière pénale, comprend le droit à un tribunal impartial (Tourancheau et July,
précité, § 66). Comme la Cour l'a déjà souligné, « les journalistes doivent
s'en souvenir qui rédigent des articles sur des procédures pénales en cours,
car les limites du commentaire admissible peuvent ne pas englober des
déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les
chances d'une personne de bénéficier d'un procès équitable ou de saper la
confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l'administration
de la justice pénale » (ibidem ; Worm, précité, § 50).
36. D'une manière générale, la « nécessité » d'une quelconque restriction à
l'exercice de la liberté d'expression doit se trouver établie de manière
convaincante. Certes, il revient en premier lieu aux autorités nationales
d'évaluer s'il existe un « besoin social impérieux » susceptible de justifier
cette restriction, exercice pour lequel elles bénéficient d'une certaine marge
d'appréciation. Lorsqu'il y va de la presse, comme en l'espèce, le pouvoir
d'appréciation national se heurte à l'intérêt de la société démocratique à
assurer et à maintenir la liberté de la presse. De même, il convient d'accorder
un grand poids à cet intérêt lorsqu'il s'agit de déterminer, comme l'exige le
paragraphe 2 de l'article 10, si la restriction était proportionnée au but
légitime poursuivi (voir, mutatis mutandis, Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27
mars 1996, Recueil 1996-II, pp. 500 501, § 40 ; Worm, précité, § 47 ; Bladet
Tromsø et Stensaas, précité, § 59).
37. La Cour n'a point pour tâche, lorsqu'elle exerce ce contrôle, de se
substituer aux juridictions nationales, mais de vérifier sous l'angle de
l'article 10 les décisions qu'elles ont rendues en vertu de leur pouvoir
d'appréciation. Pour cela, la Cour doit considérer l'« ingérence » litigieuse à
la lumière de l'ensemble de l'affaire pour déterminer si les motifs invoqués
par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et
suffisants » (voir, notamment, les arrêts Goodwin, ibidem, et Du Roy et
Malaurie c. France, no 34000/96, § 27, CEDH 2000 X). Aux fins de l'exercice de
mise en balance des intérêts concurrents auquel la Cour doit se livrer, il lui
faut aussi tenir compte du droit que l'article 6 § 2 de la Convention reconnaît
aux individus d'être présumés innocents jusqu'à ce que leur culpabilité ait été
légalement établie (Du Roy et Malaurie, précité, § 34 ; Pedersen et Baadsgaard
c. Danemark [GC], no 49017/99, § 78, CEDH 2004).
38. Il revient donc à la Cour de déterminer si l'ingérence litigieuse
correspondait à un « besoin social impérieux », si elle était proportionnée au
but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales
pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ».
ii. Application au cas d'espèce
39. La Cour observe d'emblée que le thème de l'ouvrage concernait un débat
qui était d'un intérêt public considérable. Il apportait une contribution à ce
qu'il convient d'appeler, avec le Gouvernement, une affaire d'Etat, qui
intéressait l'opinion publique, et il donnait certaines informations et
réflexions s'agissant des personnalités qui avaient fait l'objet d'écoutes
téléphoniques illégales, des conditions dans lesquelles ces dernières avaient
été réalisées, et de qui étaient les donneurs d'ordre. Force est d'ailleurs de
constater que la liste des « deux mille personnes écoutées » comprenait des
noms de nombreuses personnalités pour le moins médiatiques ou médiatisées.
40. La Cour rappelle que l'article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de
place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du
discours politique ou des questions d'intérêt général (Sürek c. Turquie (no 1)
[GC], no 26682/95, § 61, CEDH 1999-IV). En outre, les limites de la critique
admissible sont plus larges à l'égard d'un homme politique, visé en cette
qualité, que d'un simple particulier : à la différence du second, le premier
s'expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et
gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par
conséquent, montrer une plus grande tolérance (Lingens c. Autriche, arrêt du 8
juillet 1986, série A no 103, p. 26, § 42 ; Incal c. Turquie, 9 juin 1998,
Recueil 1998-IV, p. 1567, § 54 ; Feldek c. Slovaquie, no 29032/95, § 74, CEDH
2001-VIII ; Brasilier c. France, no 71343/01, § 41, 11 avril 2006). Il est
fondamental, dans une société démocratique, de défendre le libre jeu du débat
politique. La Cour accorde la plus haute importance à la liberté d'expression
dans le contexte du débat politique et considère qu'on ne saurait restreindre
le discours politique sans raisons impérieuses. Y permettre de larges
restrictions dans tel ou tel cas affecterait sans nul doute le respect de la
liberté d'expression en général dans l'Etat concerné (Feldek, précité, § 83).
En l'espèce, les propos litigieux visaient G.M., l'un des principaux
collaborateurs du président de la République, François Mitterrand. Or G.M., qui
est à l'origine de la poursuite des requérants et de leur condamnation, s'il ne
pouvait être qualifié d'homme politique stricto sensu, présentait néanmoins
toutes les caractéristiques d'un homme public influent, évidemment impliqué
dans la vie politique et ce, au plus haut niveau de l'exécutif.
41. A la fonction de la presse qui consiste à diffuser des informations et
des idées sur des questions d'intérêt public, s'ajoute le droit, pour le
public, d'en recevoir (voir, parmi d'autres, Observer et Guardian c. Royaume-
Uni, arrêt du 26 novembre 1991, série A no 216, p. 30, § 59 ; Jersild, précité,
p. 23, § 31 ; De Haes et Gijsels, précité, p. 234, § 39). Il en allait tout
particulièrement ainsi en l'espèce, s'agissant d'un système illégal d'écoutes
et d'archivages visant de nombreuses personnalités de la société civile,
organisé au sommet de l'Etat. La découverte de ces faits suscita une émotion et
un écho particulièrement significatifs dans l'opinion publique. L'ouvrage
litigieux, à l'instar des chroniques judiciaires, répond à une demande concrète
et soutenue du public de plus en plus intéressé de nos jours à connaître les
rouages de la justice au quotidien. Le public avait dès lors un intérêt
légitime à être informé et à s'informer sur ce procès et, notamment, sur les
faits relatés par l'ouvrage litigieux.
42. Cette importance du rôle des médias dans le domaine de la justice pénale
est au demeurant très largement reconnue. En particulier, la Cour a déjà jugé
qu'« à condition de ne pas franchir les bornes fixées aux fins d'une bonne
administration de la justice, les comptes rendus de procédures judiciaires, y
compris les commentaires, contribuent à les faire connaître et sont donc
parfaitement compatibles avec l'exigence de publicité de l'audience énoncée à
l'article 6 § 1 de la Convention. A la fonction des médias consistant à
communiquer de telles informations et idées s'ajoute le droit, pour le public,
d'en recevoir » (Worm, précité, § 50). Le Comité des ministres du Conseil de
l'Europe a quant à lui adopté la Recommandation Rec(2003)13 sur la diffusion
d'informations par les médias en relation avec les procédures pénales ; celle-
ci rappelle à juste titre que les médias ont le droit d'informer le public eu
égard au droit de ces derniers à recevoir des informations et souligne
l'importance des reportages réalisés sur les procédures pénales pour informer
le public et permettre à celui-ci d'exercer un droit de regard sur le
fonctionnement du système de justice pénale. En annexe à cette Recommandation
figure d'ailleurs notamment le droit du public à recevoir des informations sur
les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les
médias, ce qui implique pour les journalistes le droit de pouvoir librement
rendre compte du fonctionnement du système de justice pénale.
43. Certes, quiconque, y compris des journalistes, exerce sa liberté
d'expression assume des « devoirs et responsabilités » dont l'étendue dépend de
sa situation et du procédé technique utilisé (voir, mutatis mutandis, Handyside
c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49 in fine).
En l'occurrence, les juges internes ont considéré, compte tenu de la nature des
documents reproduits dans l'ouvrage ou ayant servi de support à certains
passages du livre, que les auteurs, journalistes expérimentés, ne pouvaient
ignorer que lesdits documents provenaient du dossier d'instruction et étaient
couverts, selon les personnes à l'origine de la remise des documents, par le
secret de l'instruction ou par le secret professionnel. Tout en reconnaissant
le rôle essentiel qui revient à la presse dans une société démocratique, la
Cour souligne que les journalistes ne sauraient en principe être déliés par la
protection que leur offre l'article 10 de leur devoir de respecter les lois
pénales de droit commun. Le paragraphe 2 de l'article 10 pose d'ailleurs les
limites de l'exercice de la liberté d'expression. Il échet de déterminer si,
dans les circonstances particulières de l'affaire, l'intérêt d'informer le
public l'emportait sur les « devoirs et responsabilités » pesant sur les
requérants en raison de l'origine douteuse des documents qui leur avaient été
adressés.
44. La Cour doit plus particulièrement déterminer si l'objectif de
préservation du secret de l'instruction offrait une justification pertinente et
suffisante à l'ingérence. Il est légitime de vouloir accorder une protection
particulière au secret de l'instruction compte tenu de l'enjeu d'une procédure
pénale, tant pour l'administration de la justice que pour le droit au respect
de la présomption d'innocence des personnes mises en examen. Toutefois, dans
les circonstances de l'espèce, la Cour considère qu'au moment de la publication
de l'ouvrage litigieux, en janvier 1996, outre la très large médiatisation de
l'affaire dite des « écoutes de l'Elysée », il était déjà de notoriété publique
que G.M. était mis en examen dans cette affaire, dans le cadre d'une
instruction ouverte depuis près de trois ans, qui aboutira finalement le 9
novembre 2005, soit neuf ans et plus de neuf mois après la publication de
l'ouvrage, à sa condamnation à une peine d'emprisonnement avec sursis. En
outre, le Gouvernement n'établit pas en quoi, dans les circonstances de
l'espèce, la divulgation d'informations confidentielles aurait pu avoir une
influence négative tant sur le droit à la présomption d'innocence de G.M. que
sur son jugement et sa condamnation presque de dix ans après la publication.
D'ailleurs, postérieurement à la parution du livre litigieux et durant la phase
d'instruction, G.M. s'est régulièrement exprimé sur l'affaire au travers de
nombreux articles de presse. Dès lors, la protection des informations en tant
qu'elles étaient confidentielles ne constituait pas un impératif prépondérant.
45. A cet égard, il faut relever que si la condamnation des requérants pour
recel reposait sur la reproduction et l'utilisation dans leur ouvrage des
documents contenus au dossier d'instruction et dès lors considérés comme
communiqués en violation du secret de l'instruction ou professionnel, elle
touchait inévitablement la révélation d'informations. On peut toutefois se
demander si subsistait encore l'intérêt de garder secrètes des informations
dont le contenu avait déjà, au moins en partie, été rendu public (Weber c.
Suisse, arrêt du 22 mai 1990, série A no 177, p. 23, § 51 ; Vereniging Weekblad
Bluf ! c. Pays-Bas, arrêt du 9 février 1995, série A no 306-A, p. 15, § 41) et
était susceptible d'être connu par un grand nombre de personnes (Fressoz et
Roire, précité, § 53), eu égard à la couverture médiatique de l'affaire, tant
en raison des faits que de la personnalité de nombreuses victimes desdites
écoutes.
46. La Cour estime au demeurant qu'il convient d'apprécier avec la plus
grande prudence, dans une société démocratique, la nécessité de punir pour
recel de violation de secret de l'instruction ou de secret professionnel des
journalistes qui participent à un débat public d'une telle importance, exerçant
ainsi leur mission de « chiens de garde » de la démocratie. L'article 10
protège le droit des journalistes de communiquer des informations sur des
questions d'intérêt général dès lors qu'ils s'expriment de bonne foi, sur la
base de faits exacts et fournissent des informations « fiables et précises »
dans le respect de l'éthique journalistique (Goodwin, précité, § 39 ; Fressoz
et Roire, précité, § 54 ; Colombani et autres c. France, arrêt du 25 juin 2002,
§ 65, CEDH 2002-V). Or, en l'espèce, il ressort des allégations non contestées
des requérants que ceux-ci ont agi dans le respect des règles de la profession
journalistique, dans la mesure où les publications litigieuses servaient ainsi
non seulement l'objet mais aussi la crédibilité des informations communiquées,
attestant de leur exactitude et de leur authenticité (Fressoz et Roire,
précité, § 55).
47. De plus, pour ce qui est des peines prononcées, la Cour rappelle que la
nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en
considération lorsqu'il s'agit de mesurer la proportionnalité de l'ingérence
(Sürek no 1, précité, § 64 ; Paturel c. France, no 54968/00, § 47, 22 décembre
2005 ; Brasilier, précité, § 43).
48. Elle relève tout d'abord que les deux auteurs ont été condamnés à payer
une amende de 762,25 EUR chacun, outre leur condamnation solidaire à payer 7
622,50 EUR de dommages-intérêts à G.M. En outre, la troisième requérante fut
déclarée civilement responsable. Toutefois, la destruction ou la saisie de
l'ouvrage n'a pas été ordonnée et sa publication n'a pas été interdite
(Paturel, précité, § 4[SM=g27989]. Cela étant, le montant de l'amende, bien que, certes,
relativement modérée, et les dommages-intérêts qui sont venus s'y ajouter, ne
paraissaient pas justifiés au regard des circonstances de la cause (Brasilier,
précité, § 3 ; Paturel, précité, § 49). La Cour a d'ailleurs maintes fois
souligné qu'une atteinte à la liberté d'expression peut risquer d'avoir un
effet dissuasif quant à l'exercice de cette liberté (voir, mutatis mutandis,
Cumpana et Mazare c. Roumanie, arrêt du 17 décembre 2004 [GC], no 33348/96, §
114, CEDH 2004 XI), que le caractère relativement modéré des amendes ne saurait
suffire à faire disparaître.
49. En conclusion, la Cour estime que la condamnation des requérants
s'analyse en une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté
d'expression des intéressés et qu'elle n'était donc pas nécessaire dans une
société démocratique.
Partant, il y a eu violation de l'article 10 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION
50. Invoquant, en outre, l'article 6 § 2 de la Convention, les requérants
soutiennent également que les juridictions nationales ont méconnu le principe
de la présomption d'innocence dans la mesure où aucune preuve n'a selon eux été
rapportée de ce que les documents qu'ils détenaient avaient une origine
frauduleuse. L'article 6 § 2 est libellé comme suit :
« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce
que sa culpabilité ait été légalement établie. »
51. Compte tenu de la conclusion de violation à laquelle elle est parvenue au
titre de l'article 10 de la Convention, la Cour estime que le grief tiré de
l'article 6 § 2, qu'il convient de déclarer recevable, repose sur les mêmes
faits et que, dès lors, aucune question distincte ne se pose au regard de
l'article 6 § 2 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses
Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet
d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour
accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
53. Les requérants n'ont pas formulé de demande au titre de la satisfaction
équitable. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de leur octroyer une
satisfaction équitable (voir, notamment, Brasilier, précité, § 46).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;

3. Dit qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 6 §
2 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juin 2007 en application de
l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley NAISMITH Boštjan M. ZUPANCIC
Greffier adjoint Président


[Modificato da INES TABUSSO 23/06/2007 15.10]

INES TABUSSO